Dans la nuit du lundi 18 au mardi 19 mars 2019, le Groupe ADP, propriétaire et gestionnaire de l’aéroport de Paris-Orly a débaptisé les halls « Orly Sud » et « Orly Ouest » pour leur donner le nom de « Orly 1, Orly 2, Orly 3 et Orly 4 ». L’opération a consisté à remplacer l’ensemble de la signalétique, tant interne qu’externe, entre 21 heures et 6 heures du matin.
Est-ce un acte anodin ? En quoi un changement de dénomination d’un lieu modifie-t-il son identité ? A quelle logique d’entreprise répond-il ? A quelle intelligence territoriale participe-t-elle à l’heure de la privatisation du service public aéroportuaire et de la mondialisation des transports aériens ?
« Non à la privatisation » peut-on lire ce lundi 18 mars 2019 sur la banderole, apposée par la CGT de l’aéroport de Paris-Orly. Elle accueille les passagers qui empruntent le Tram n°7 à la station « Aéroport d’Orly ». La modification de la dénomination des différents bâtiments de l’aérogare d’Orly, opérée dans la nuit du lundi 18 au mardi 19 mars, intervient quelques jours après un vote important à l’Assemblée nationale, le jeudi 14 mars 2019, concernant précisément le statut des aéroports.
Les députés, au terme de très longs échanges, ont adopté en nouvelle lecture, par 42 voix contre 17, l’article 49 de la « loi Pacte » qui ouvre la voie à la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Cet article prévoit de supprimer l’obligation pour l’État de détenir la majorité du capital d’ADP. Toute la journée, les parlementaires des différents groupes se sont succédé au micro pour donner leur position sur le projet du gouvernement. La majorité des orateurs, de droite comme de gauche, ont farouchement contesté ce projet, reprochant au gouvernement de commettre une « erreur irréparable », comme l’a déclaré le député des Landes, Boris VALLAUD (1).
Propriétés immobilières. Le Groupe ADP est le propriétaire de terrains d’une superficie totale de 6 686 hectares dont 4 601 hectares affectés aux activités aéronautiques, 775 hectares de surfaces non exploitables et 1 310 hectares affectés aux activités immobilières.
La valeur nette des terrains aménageables s’élève à 120 millions d’euros, les constructions immobilières à 5 615 millions d’euros et les infrastructures techniques à 212 millions d’euros. L’activité immobilière de Groupe ADP représente un chiffre d’affaires de 263 millions d’euros en 2016.
ADP possède sur ses terrains 1 125 000 m2 de surface utile commercialisable.
Les terrains loués à des tiers sont situés à :
- Paris-Charles-de-Gaulle pour 286 hectares,
- Paris-Orly pour 120 hectares,
- Paris-Le Bourget et les aérodromes d’aviation générale pour 124 hectares.
À travers plusieurs filiales (dont Cœur d’Orly Investissement et Roissy Continental Square), le Groupe ADP gère ses actifs immobiliers à destination des professionnels sur les sites des aéroports de Paris-Charles de Gaulle et Paris-Orly. Il possède également Roissypôle, un complexe immobilier au cœur de Paris-Charles de Gaulle. Le site comprend 230 000 m2 de bureaux et 112 000 m2 d’hôtels.
L’actualité générale concernant un sujet donné est la superposition de plusieurs actualités partielles. Lorsque l’on considère le contexte institutionnel de l’avenir du Groupe Aéroport de Paris, on ne peut pas juger que la modification de la dénomination des aérogares est un événement anodin : il constitue l’acte 1 de la privatisation.
L’aéroport d’Orly n’existe pas, c’est un « non lieu » ? Marc AUGÉ s’interroge. Peut-on s’identifier à un supermarché, à une chaîne d’hôtels internationale, à un camps de réfugiés, à des autoroutes, au TGV (qui change de nom : le dernier appartient au sabir franco-américain : « Ouigo»), à des aéroports ? Il s’agit chaque fois d’espaces de transit. Ce sont pour Marc AUGÉ des non lieux où se déplacent des individus solitaires, incapables de proposer la moindre identification : grande indistinction, grand anonymat. (2) Alors, à quoi bon se référer au points cardinaux comme le Sud ou l’Ouest ? Peu importe où l’on se trouve. Peu importe de « se repérer ». De simples numéros sont donc bien suffisants.
Les communes riveraines de l’aéroport d’Orly croient – et font croire – que celui-ci appartient à leur territoire. C’est oublier que l’on n’y vient pas sans raison, et que l’on n’y pénètre pas sans se soumettre à certaines règles. Michel FOUCAULT a défini sous le nom d’hétérotopie (du grec « topos », « lieu », et hétéro, « autre ») ce qu’il a désigné comme des « espaces autres ». (3) Les hétérotopies constituent une localisation physique de l’utopie, des espaces concrets qui hébergent un imaginaire, qui effectuent une mise à l’écart, des lieux à l’intérieur de la société qui obéissent à des règles qui sont autres. Le fondateur de cet imaginaire a un nom, c’est Gilbert BÉCAUD avec sa chanson « Dimanche à Orly ». (4) Ce n’est pas une anecdote. Quant-au tournant de l’hétérotopie mondialisée de l’aéroport d’Orly, ce ne sera pas une chanson, ce sera sa privatisation. Comme pour l’aéroport de Toulouse.
L’acte 2 sera l’inauguration du « bâtiment de jonction » (Orly 3, mis en service le 2 avril), en attendant la construction de Orly 5… Prochain rendez-vous pour les habitants des communes riveraines, les travaux de réfection des pistes durant l’été prochain (du 28 juillet au 2 décembre 2019). De grandes vacances. Nous y reviendrons.
RÉFÉRENCES
1. « Aéroports de Paris, une privatisation contestable. Éditorial », Le Monde, 19 mars 2019. https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/19/groupe-adp-une-privatisation-contestable_5438217_3232.html
2. AUGÉ, Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992. Coll. « La librairie du XXIe siècle ».
3. FOUCAULT Michel, « Des espaces autres », Architecture, Mouvement, Continuité, no 5, octobre 1984, p. 46-49. Conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967.
FOUCAULT Michel, « Des espaces autres », Dits et écrits (1984), Tome IV, Gallimard, 1994, p. 752-762.
4. BÉCAUD Gilbert, « Dimanche à Orly » , Paroles de Julie MILLER, 1963.
Dimanche à Orly (1963)
« Lorsque Gilbert Bécaud crée cette chanson en 1963, l’aéroport Orly vient d’être inauguré deux ans auparavant, en 1961, par le président de la République Charles de Gaulle. C’est l’époque des avions « Caravelles », des avions à réaction que tout le monde vient admirer sur les terrasses d’Orly, le quatrième aéroport du monde. Trois millions de visiteurs viennent chaque année, en habit du dimanche, quasiment autant qu’à la Tour Eiffel. »
AURENCHE Sophie, « Gilbert Bécaud et son ode à l’aéroport d’Orly », Douce France, RTL, 28 juillet 2015. https://www.rtl.fr/actu/conso/gilbert-becaud-et-son-ode-a-l-aeroport-d-orly-7779232542
LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS
- « Non à la privatisation d’Aéroport de Paris », Aéroport de Paris-Orly, 18 mars 2019. © Photographie Bernard Mérigot/CAD pour PEE.
- Régis LACOTE, directeur de l’aéroport d’Orly lors du baptême des aérogares « Orly 1-2-3-4 » le lundi 18 mars 2019. © Photographie Bernard Mérigot/CAD pour PEE.
- « Orly 1 ». Nouvelle dénomination de l’aérogare « Orly Ouest » par le Groupe ADP (Aéroport de Paris) dans la nuit du 18 au 19 mars 2019. © Photographie Bernard Mérigot/CAD pour PEE.
© Bernard MÉRIGOT et Marie LAPEIGNE , article mis en ligne le 30 mars 2019, 13 heures.
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