Les assemblées délibérantes locales (conseil municipal, conseil communautaire, conseil territorial, conseil départemental, conseil régional, conseil métropolitain…) éprouvent de plus en plus le besoin de voter en début de mandat une « charte de gouvernance ». Cette pratique – qui est facultative – est nouvelle. Elle amène à s’interroger sur le contenu de ces textes, sur la place qu’ils occupent par rapport au règlement intérieur dont le vote est obligatoire (Code général des collectivités territoriales, Article L.2121-8). Et surtout, sur ce que disent et ce que ne disent pas ces chartes de gouvernance.
Une charte née dans la douleur
C’est ainsi que, lors de la séance publique n° 3 du 16 février 2016 du conseil territorial de l’établissement public territorial 12 (EPT 12) tenu à Vitry-sur-Seine, la délibération relative à la charte de gouvernance, pourtant inscrite à l’ordre du jour, a été soudainement retirée au motif d’absence de consensus… Inscrite à nouveau à l’ordre du jour de la séance n° 4 du 12 avril 2016, la délibération présentée par le président Michel LEPRÊTRE a finalement été adoptée, après une suspension de séance demandée par Robin REDA, vice-président, et le dépôt d’un amendement qui a été repoussé. Autant dire que la charte de gouvernance de l’EPT 12 est née dans la douleur. (Voir note infra)
Quelle est l’utilité d’une « charte de gouvernance » ?
La notion de charte de gouvernance, ou de bonne gouvernance, se retrouve essentiellement au sein des grandes entreprises, des institutions publiques, des associations du type ONG, des universités, et même des familles… En adopter une dans la sphère politique, et au sein des conseils des collectivités territoriales, revient à mettre en avant la pratique d’un mode de gouvernance de précaution, donnant des gages anticipés, fourre-tout d’un idéal consensuel qui doit primer, coûte que coûte, et dont on ne procède que rarement au bilan. Il a pour effet d’opérer une relégation du débat démocratique. L’alternative est : « on discute un projet, on fait consensus sur ce projet, on met le projet à l’ordre du jour d’un conseil, on l’adopte » contre « on discute un projet, on ne fait pas de consensus autour de celui-ci, on ne le met pas à l’ordre du jour car on ne veut pas d’opposition ».
Les atouts exceptionnels de l’EPT 12
Le débat en séance a porté sur la phrase « Le T12 est un territoire à forts enjeux avec des atouts exceptionnels ». Il a donné lieu à une joute oratoire entre la majorité (PS/PC) et la minorité (LR), sans débat digne de ce nom éclairant cette notion essentielle : Qu’est ce qu’un « atout exceptionnel » pour un territoire ? L’aéroport d’Orly fait-il partie des « atouts exceptionnels » pour les 24 communes de l’EPT 12 ? Où bien est-il une source de pollutions et de nuisances pour les populations riveraines ou survolées ?
La Charte de gouvernance des EPTdouziens (2)
Le document adopté par les élus « EPTdouziens » (2) appelle remarques et interrogations :
- L’EPT s’autoproclame – sans débat – comme une « coopérative de villes ». Idée intéressante mais qui prend le risque d’enfoncer des portes ouvertes. La sous-intercommunalité métropolitaine confirme qu’elle doit respecter l’identité des communes, leurs services, leur histoire, leurs habitants ! Ce qui est une attitude normale que l’on attend d’une intercommunalité, mais qui fait problème dès que l’on veut fédérer des projets divergents. Qui aura barre sur l’autre ? L’EPT ou la commune ?
- « L’intérêt territorial » ne vient pas « se substituer à l’intérêt communal ». Quelle est l’utilité du regroupement pour certains dossiers notamment lorsque les élus n’ont pas trouvé localement de solution ? La mutualisation des intelligences locales n’est-elle pas une force de proposition dans certains cas, justement lorsque le dynamisme n’existe plus dans une commune ou bien que l’égalité d’accès aux services et aux équipements publics est rompu depuis longtemps ?
- La « sécurisation des budgets communaux » devra être garantie par « la solidarité budgétaire entre les communes et le territoire ». Sous quelles formes précisément ? Une récente étude constatait que les communes riches devenaient de plus en plus riches et, inversement, les communes pauvres de plus en plus pauvres.
- « Développer et amplifier les projets de territoire » signifie que l’EPT 12 « devra poursuivre les dynamiques et politiques publiques des territoires existants… dans le respect des communes, des projets locaux… portés depuis des décennies par les communes au bénéfice de leurs population. » Que se passe-t-il lorsque les communes cassent leurs services publics, comme c’est le cas dans certaines villes de l’EPT n° 12 qui ne formulent aucun véritable projet ?
- « Les services publics rendus par chacune des administrations locales doivent être préservés et ne doivent pas être soumis à des bouleversements qui risqueraient de paralyser leur action. Le citoyen serait alors victime d’une baisse de la qualité de services publics. » C’est rop tard pour les habitants de Savigny-sur-Orge ou pour les habitants de Viry-Châtillon par exemple, pour lesquels les suppressions et les diminutions de services publics locaux ont été enclenchés bien avant l’adoption de la charte. Comment les maires – qui ont adopté cette charte ce 12 avril 2016 – vont-ils justifier que celles-ci se poursuive jusqu’en 2020 ?
- « La place des habitants » : la « création d’un conseil de développement économique, social et environnemental sera installé. » C’est une bonne chose en-soi si les élus jouent réellement le jeu. Il existe de nombreux conseils de développement, créés par la loi Voynet de juin 1999, qui fonctionnent en parfaite synergie entre la société politique (élus, administrations) et la société civile (entreprises, associations, citoyens…). Ce sont des instances de démocratie participative, de dialogue et de propositions qui font participer les citoyens aux projets de territoire.
- Les projets soumis au vote du conseil territorial doivent être examinés en amont. « Le dialogue sera la règle, le consensus est l’objectif qui sera systématiquement recherché. En cas de désaccord constaté, la majorité qualifiée de 75 % des membres est nécessaire ». Ainsi, tombons-nous dans le travers du consensuel, le conseil territorial devenant une chambre d’enregistrement, privant le citoyen des débats démocratiques… Rappelons que le but d’un débat démocratique est de faire apparaître clairement, pour des projets donnés, leurs avantages et leurs inconvénients.
- Le blocage. Le « principe de ne pas imposer à une commune un projet dont l’impact concernerait principalement son territoire sans son accord, la commune disposant d’un droit de blocage » fait figure d’une logique normale. N’oublions pas que cette instance territoriale formée en janvier 2016 n’a pas été élue de façon démocratique au suffrage universel direct, comme l’ont été les conseillers communautaires (élus le même jour que les conseillers municipaux en 2014), mais bel et bien élus en catimini, en novembre et décembre 2015, par les conseils municipaux, qui se sont élus eux-mêmes. C’est une assemblée autoproclamée par les conseils municipaux. Imposer des mesures aux habitants qui n’ont pas élu la majorité politique décisionnelle est une absurdité qui ne peut que générer bien des problèmes.
On saisit les limites du discours tenu par une telle charte de gouvernance. Elle occupe un espace interstitiel qui essaie de faire tenir ensemble des pierres mal jointoyées. Pour combien de temps ?
RÉFÉRENCES
1. ÉTABLISSEMENT PUBLIC TERRITORIAL 12 (EPT n° 12), « Ordre du jour du conseil territorial du mardi 12 avril 2016 », « 4. Adoption de la charte de gouvernance », 4 p. (pdf) : EPT 12 CT 12 avril 2016.
2. ÉTABLISSEMENT PUBLIC TERRITORIAL 12 (EPT n° 12), « Charte de gouvernance », note de synthèse du point 4 de l’ordre du jour de la séance du conseil territorial du 12 avril 2016, 5 p. (pdf) : EPT 12 Charte 2016.
NOTE
ASSEMBLÉES DÉLIBÉRANTES LOCALES : DÉMOCRATIE, VIDÉO ET INTERNET
La séance n° 1 (mardi 12 janvier 2016) a été filmée et diffusée en différé par l’EPT 12 sur Internet – sur le site Internet de la ville de Vitry-sur-Seine plus exactement, le 13 janvier 2016. La séance n° 2. (mardi 26 janvier 2016) n’a pas été filmée. La séance n° 3 (mardi 16 février 2016) n’a pas été filmée. La séance n° 4 (mardi 12 avril 2016) n’a pas été filmée. Aucun élu ne s’est étonné en séance publique (ni le 26 janvier, ni le 16 février, ni le 12 avril) de cette rupture dans l’information démocratique des citoyens.
L’argument entendu « dans les couloirs » à propos de la diffusion vidéo des séances (« Cela coûte trop cher ») ne saurait être valablement retenu. Il s’agit d’une décision volontaire de non-diffusion, en aucun cas l’effet d’une contrainte résultant d’un manque de moyens. Rappelons que l’EPT 12 (24 communes, 677 462 habitants) a un budget prévisionnel 2016 qui s’élève à un total de 450 091 204 € (450 millions d’euros) et qu’il comprend un effectif budgétaire de 1 418 fonctionnaires territoriaux.
Qui sait ce qui se passe lors des séances publiques de cette assemblée délibérante locale, en dehors des élus, des fonctionnaires et du public présent ? La question doit être posée d’autant plus qu’il n’existe aucun compte rendu exhaustif des débats. Personne ne peut savoir quel élu est intervenu pour dire quoi. Contrairement au conseil métropolitain de la métropole du Grand Paris (MGP), créée elle aussi au 1er janvier 2016, qui filme et diffuse en direct ses séances publiques sur Internet et qui établit un compte rendu complet de ses débats.
Il doit être souligné que ce sont des initiatives citoyennes et associatives qui pallient la carence des collectivités territoriales en matière de démocratie locale. Ainsi, la séance du conseil territorial du 12 avril 2016 a été suivie par Olivier VAGNEUX du Savinien libéré (https://oliviervagneux.wordpress.com/2016/04/14/tweet-story-du-4e-conseil-territorial-de-lept-t12/). Il a mis en ligne la vidéo sous le lien : https://www.youtube.com/watch?v=ShtWRk8h8_8 (2:50:43). La partie relative à l’adoption de la charte est située à la 12e minute (12:53 – 27:34).
© Sylvie MONNIOTTE-MÉRIGOT, Bernard MÉRIGOT (TDNL-MALA), 16 avril 2016, 17 h 00.