Entre le 5 mai et le 5 juin 2014, une enquête publique soumet aux citoyens le projet d’une autoroute ferroviaire Atlantique (AFA) entre Dourges (Pas-de-Calais) et Tarnos (Landes), via l’Essonne¹ et la ligne du RER-C, soit 1 050 km. (1) Par extension, l’Espagne sera reliée à la Belgique. Le but est de proposer une alternative au transport routier sur des axes saturés dès le printemps 2016. Un contrat de concession entre l’État et VIIA Atlantique, filiale de la SNCF, a été signé le 20 mars 2014. (2) En faisant transporter l’équivalent de 60 semi-remorques par train, les convois atteindraient plus de 1 km de long en 2019, une première en France. Quatre trains² dans chaque sens assureront une navette quotidienne, sachant qu’ils circuleront de nuit.
Carte du tracé de l’autoroute ferroviaire Atlantique, extraite de www.viia.fr
UNE IDÉE INTÉRESSANTE, MAIS…
L’idée d’un transport de fret par voie ferrée plutôt que par la route n’est pas neuve. Elle est même intéressante et abonde dans le sens du développement durable. Les temps de transport peuvent être ainsi réduits de 20 %. De même, on avance une réduction des coûts de 10 à 15 %. Écologiquement, les gains ne sont pas négligeables en réduisant de 10 à 20 % le trafic routier par transfert vers le fret ferroviaire, soit environ 85 000 poids lourds annoncés pour près de 100 000 tonnes équivalent CO2 économisés annuellement à terme et en régime de croisière. Les faits ont-ils été vérifiés grâce aux statistiques issues de l’utilisation des deux autoroutes ferroviaires existantes en France : celle dite alpine ouverte en 2003 entre Chambéry et Turin (175 km), et la ligne Perpignan-Luxembourg mise en service en 2007 (1 045 km) ? Dans son rapport sur les autoroutes ferroviaires de février 2012, la Cour des Comptes a pointé du doigt ces expériences en utilisant une terminologie rude pour les qualifier : « inabouties », « marquées par des retards », « lancées sans étude suffisante » et « déficitaires ». En résumé, ces autoroutes ferroviaires « peinent à faire leurs preuves sur les plans économique et financier ». (3) L’économie générale financière de ce projet semble défaillante et le financement incertain.
UN RÉSEAU FRANCILIEN DÉJÀ SURCHARGÉ
Pourtant, des associations environnementales et certaines municipalités émettent un bémol, notamment en région parisienne. Il est, en effet, inadmissible de faire passer de tels convois sur le réseau francilien déjà surchargé, voire saturé et à risque. Ainsi, à partir de 2016, ces trains emprunteraient les lignes de la grande couronne. Parmi elles, celle du RER-C dont les travaux de modernisation débutent à peine et sont échelonnés sur six années. Oui, mais voilà, le tracé emprunté par l’AFA serait rénové en 3 ans : donc, aucun obstacle pour VIIA/SNCF !
Document : AFA en Ile-de-France. Infographie publiée par le Parisien Essonne matin du 5 mai 2014, p. II.
DES TRAINS POTENTIELLEMENT DANGEREUX
A Drancy (93), le maire a lancé une pétition sur Internet : il a fait voter une motion par son conseil municipal contre le passage de cette autoroute ferroviaire en zone urbaine dense. Le principe de précaution est mis en avant dans ce refus de voir les communes franciliennes traversées par des trains potentiellement dangereux car transportant des produits inflammables, explosifs, toxiques, voire radioactifs. Drancy s’oppose également à l’augmentation des nuisances phoniques la nuit. Nous ne pouvons que confirmer cette inquiétude, sachant que les lignes ferroviaires de banlieues franciliennes sont déjà fréquemment empruntées par des convois de déchets nucléaires sans que les populations ne soient averties. De manière générale, les risques sont sous-estimés et les études excluent régulièrement les réactions combinées de matières toxiques en cas d’accident. Plus modestement, le maire de Viry-Châtillon (91) a convoqué son conseil municipal le 28 mai 2014, en séance extraordinaire, afin de demander des informations complémentaires et une nouvelle enquête publique. Mais, il n’a pas pris réellement position puisque le délibéré n’a pas émis un avis défavorable. (4) La crainte sur le bruit, la dangerosité, les impacts sur l’homme et son environnement gagne du terrain parmi les élus concernés et les associations locales, dont la nôtre.
Train d’autoroute ferroviaire photographié par Xavier Bonnaventure ©. Plaquette de présentation de l’AFA publiée lors de la concertation de 2013.
D’une façon générale, le constat est simple : « Les villes et intercommunalités critiquent (…) l’absence de clarté et de visibilité concernant la politique de RFF et de la SNCF, voire des Régions (ndlr : partenaires). Elles dénoncent la multiplicité des parties prenantes et leur insuffisante participations aux décisions. » (5) Les associations sont dans le même cas. D’autant plus qu’en 2013, le débat public précédant toute enquête publique n’a pas eu lieu en Ile-de-France, mais seulement sur les deux communes où se trouveront les terminaux³ ! Il faut remonter à 2006 pour trouver une trace d’un débat public sur les lignes à grande vitesse avec mention d’une autoroute ferroviaire Atlantique.
UNE PLATEFORME AU SUD DE PARIS. OUI, MAIS OÙ ?
Par ailleurs, le projet global prévoit une plateforme au sud de Paris, mais aucune véritable précision n’est indiquée dans le dossier d’enquête. Pas même de localisation détaillée, en dehors d’un Brétigny-sur-Orge (Essonne) cité dans la procédure de mise en concession. Autre problème : aucune voie d’évitement de plus d’1 km n’existe entre Pierrefitte et Étampes. Un convoi engagé doit, quelle que soit la conjoncture, passer par l’Ile-de-France. Quid de l’impact sur le trafic voyageur de banlieue en cas de problème ? Comment un Sud-Francilien ou une municipalité sud-francilienne peuvent-ils abonder dans le sens du projet si des éléments leur sont cachés ?
ON RABOTE LES QUAIS, ICI AUSSI !
En pleine cacophonie sur les quais qu’il faut raboter pour le passage des nouveaux TER commandés par la SNCF, il semblerait que, pour celui de l’AFA, il faille aussi réduire certains quais afin de faire circuler des trains larges de 2,55 m. Quid de l’espace nécessaire sur ces quais pour l’attente de Franciliens empruntant quotidiennement les RER afin de se rendre à leur travail ou afin de vaquer à leurs occupations… ? En pleine heure de pointe, certains quais sont déjà très exigus. Le seront-ils un peu plus, même s’il ne s’agit que de quelques centimètres rabotés ? Le dossier d’enquête n’indique pas précisément les lieux des 3 800 interventions où ces travaux nocturnes d’ajustement du gabarit bas seront nécessaires. Une lacune… Même remarque pour les infrastructures qui devront être adaptées en hauteur (dont 5 tunnels et 2 ponts-routes). Ainsi, un pont-rail à Savigny-sur-Orge est concerné. Le dossier ne précise pas lequel alors qu’il en existe plusieurs sur ce territoire ! Dans son avis rendu public le 19 décembre 2012, l’Autorité environnementale insiste sur les coûts élevés du projet, avec notamment un surcoût de retouche des ouvrages de 188 millions d’euros. (6)
ENCORE DU BRUIT !
Au sujet des nuisances sonores, les convois rouleraient à environ 60 km/h. Le bruit généré en soi n’est donc pas plus important que n’importe quel autre train, sauf qu’il s’ajoutera aux autres bruits environnants, en principe moins importants puisque nocturnes… Ainsi, en Essonne, le surplus serait évalué entre 0,2 et 0,8 dB selon les secteurs. Imperceptible, dit-on. Non, lorsque ce sont des bruits supplémentaires, s’ajoutant aux nuisances acoustiques autoroutières et aériennes critiques. Certes, VIIA/SNCF étudiera la possibilité d’installer des protections phoniques le long des voies afin de faire monter les bruits vers le haut. Mais, quid des immeubles le long de ces mêmes voies dans les milieux urbains denses ? Ces murs anti-bruit, on les connaît déjà le long des autoroutes routières. Ils ne sont pas toujours efficaces ! A force de rajouter des nuisances générant un stress non pris en compte dans le projet, que devient la santé des Franciliens dont le sommeil est déjà perturbé par les bruits ambiants et par le trafic aérien. C’est une atteinte supplémentaire à la qualité de vie !
« BONNES » VIBRATIONS…
Enfin, qu’envisage de faire VIIA/SNCF contre les vibrations liées au passage des trains de fret ? Tous les résidents vivant dans des pavillons à proximité des lignes de chemin de fer connaissent déjà ces nuisances liées au roulement des essieux de certaines rames mal équilibrées, aux conteneurs mal calés sur une structure ferroviaire défaillante… Les vitres, les tableaux, les parquets, certains meubles tremblent. Une gêne acoustique se fait entendre par le biais des structures des habitations qui entrent en vibration et rayonnement du bruit. Parfois, à force de passage, des dommages sur les bâtiments apparaissent. Bref, VIIA/SNCF appréhendera-t-elle l’impact de ces nuisances vibratoires dans tous les secteurs urbains et les solutionnera-t-elle au même titre que les nuisances sonores ? Il faut espérer qu’elle agira à la source partout où cela sera nécessaire.
Convoi d’autoroute ferroviaire. Plaquette AFA publiée lors de la concertation de 2013. © Xavier Bonnaventure.
L’AVIS DE L’AUTORITÉ ENVIRONNEMENTALE
« A l’échelle locale, l’Autorité environnementale a estimé que les impacts du projet sur le bruit et les vibrations ainsi que le transport de matières dangereuses (risques technologiques et risque de pollution accidentelle des eaux) en constituaient les enjeux environnementaux principaux. Elle recommande de compléter l’étude d’impact sur le plan des risques technologiques et des impacts acoustiques (clarification des hypothèses de calculs, identification des points noirs de bruit, localisation des bâtiments exposés) en ce sens. Les enjeux du projet concernent par ailleurs ses impacts sur les milieux naturels et les espèces protégées, notamment au niveau des tunnels et des plateformes de transbordements. Elle recommande de vérifier la présence éventuelle d’espèces protégées et de compléter les évaluations d’incidences Natura 2000, puis d’en présenter les mesures d’évitement, de réduction et de compensation correspondantes. » (7)
DES QUESTIONS NON SOULEVÉES, POURTANT ESSENTIELLES !
Reste que les thématiques franciliennes essentielles ne sont pas soulevées dans le dossier d’enquête publique. De nombreuses questions restent sans réponses quant aux atteintes à la qualité de vie. Quels seraient les risques pour les populations en cas d’accident grave ? Seront-elles suffisamment informées et formées à une éventuelle catastrophe ferroviaire, même mineure ? Les centres hospitaliers et médicaux seront-ils à même de gérer l’urgence, sachant que la politique de la concentration de services d’urgence s’accélère au détriment de la santé des Français ? Que se passera-t-il lors d’un déraillement en plein été, au moment même où des services hospitaliers sont fermés par mesure d’économie et de rentabilité ? A partir de quel seuil, la nuisance sonore nocturne est-elle infime et/ou acceptable ? Quelles sont les conséquences en cas de panne ou de retard de ces convois sur l’activité traditionnelle du réseau ferré banlieusard ? Ces convois seront-ils prioritaires sur les trains de banlieue ? La gestion des conflits de priorité ne sera-t-elle pas favorable au fret au détriment des voyageurs ? N’ajoute-t-on pas une couche de perturbations potentielles sur des réseaux déjà fortement perturbés en temps normal ? Enfin, la grande interrogation est de savoir pourquoi il n’est pas proposé de contourner l’Ile-de-France sur cette ligne d’autoroute ferroviaire alors que des plans de contournement existent à Lyon et à Montpellier pour ses homologues ?
UN AVIS DÉFAVORABLE EN L’ÉTAT DU DOSSIER
L’autoroute ferroviaire est en soi un bon moyen de diminuer le trafic routier, mais il est impossible d’apporter un blanc seing à ce projet d’AFA sans réelle concertation avec tous les élus et les milieux associatifs sur l’ensemble du tracé au préalable. Elle aurait dû avoir lieu dans les tous les départements ou régions traversés, à plus forte raison en Ile-de-France, la zone la plus densément peuplée de la ligne Tarnos-Dourges. Nous la réclamons. L’association PEE émet donc un avis défavorable en l’état du dossier soumis à enquête publique. (8)
NOTES
1. Villes essonniennes traversées du nord au sud par l’autoroute ferroviaire atlantique : Athis-Mons, Juvisy-sur-Orge, Viry-Châtillon, Savigny-sur-Orge, Villemoisson-sur-Orge, Épinay-sur-Orge, Sainte-Geneviève-des-Bois, Saint-Michel-sur-Orge, Brétigny-sur-Orge, Saint-Germain-lès-Arpajons, La Norville, Marolles-en-Hurepoix, Cheptainville, (Bouray-sur-Juine, gare sis sur le territoire de Lardy), Lardy, Étrechy, Morigny-Champigny, Etampes, Guillerval, Monnerville, Angerville.
2. En phase de test, en 2015, ce ne sont pas quatre trains allers-retours par jour qui circuleraient, mais entre 10 et 20 allers-retours qui seraient effectués selon VIIA/SNCF ! Certains tableaux du dossier d’enquête mentionnent même une circulation de 20 à 40 trains, ce qui est très lourd de conséquences pour les populations résidentes à proximité des voies, notamment en zones très urbanisées, subissant déjà des nuisances de transports ferroviaires de fret incontestables. Un convoi type AFA serait composé de 2 locomotives et de 30 wagons de 33 mètres de long.
3. La concertation s’est déroulée du 28 octobre au 9 novembre 2013, avec pour seule thématique la construction des deux terminaux de Tarnos et de Dourges. (www.aquitaine.developpement-durable.gouv.fr). Les études d’avant-projet ont ensuite abouti au projet soumis à enquête publique actuellement. Les travaux commenceront à l’automne 2014. La mise en service commerciale est prévue au printemps 2016.
SOURCES
1. Le dossier d’enquête publique complet est consultable sur le site www.viia.fr. Quelques éléments en pdf du dossier : 1. Avis enquete ; 2. Arrete autoroute ferroviaire ; 3. Plaquette concertation. 7oct2013 ; 4. DEUP Presentation projet. Piece 1 non technique. mars 2014 ; 5. DEUP Piece 2 etude impact vol1 c ; 7. DEUP Piece 2 etude impact vol3 ; 8. DEUP Piece 2 etude impact vol4 c; 9. DEUP Piece 4 vol1 ; 10. DEUP Piece 5 vol 1.
2. La durée des études et de la construction des terminaux est de 2 ans. Celle de l’exploitation du service est de 15 ans. Ainsi, le contrat de concession donne à VIIA Atlantique la charge de construire les deux terminaux de Tarnos et de Dourges. L’opérateur a choisi le matériel fabriqué par le groupe Lohr : wagons et équipements de transbordement seront produits en France. La charge financière de mise aux normes du réseau ferré national est dévolue aux régions partenaires du projet et l’État (www.developpement-durable.gouv.fr). Réseau ferré de France (RFF) réalisera les travaux. A l’issue des 17 années, l’État deviendra propriétaire des terminaux et organisera le service autoroutier.
3. Rapport de la Cour des comptes, février 2012 (pdf) : Cour comptes autoroutes ferroviaires 2012.
4. Site internet de Drancy : www.drancy.net ; pétition sur Internet « Non au passage de l’autoroute ferroviaire à Drancy », www.change.org ; MÉRÉO Florence, « A Viry, des élus inquiets », Le Parisien Essonne matin, 27 mai 2014, p. II ; FONTAINE Isoline, « Tout savoir sur l’autoroute ferroviaire qui traverse l’Europe », Le Parisien Essonne matin, 27 mai 2014, p. II ; 2014-05-27 LP Autoroute ferrov. ; « Autoroute ferroviaire : les élus exigent une autre enquête publique », Le Parisien Essonne matin, 28 mai 2014, p. III ; www.amisdelaterre40.fr/spip/spip.php?article402.
5. MAULAT Juliette, PASSALACQUA Arnaud, « Les collectivités locales prises dans la nouvelle « bataille du rail » », Metropolitiques, 26 mai 2014, www.metropolitiques.eu.
6. Avis délibéré de l’Autorité environnementale n°Ae 2012-06 / n°CGEDD 008541-01 adopté lors de la séance du 19 décembre 2012 (pdf) : Autorite environnementale avis AFA 008541-01.
7. Résumé de l’avis de l’Autorité environnementale consultable sur le site internet www.cgedd.documentation.developpement-durable.fr.
8. Avis de PEE sur le projet d’AFA adressé au président de la commission d’enquête d’utilité publique en lettre RAR (pdf) : PEE Avis sur l’EUP AFA 2 juin 2014.
© Philippe TRENTY, 29 mai 2014.